10 Mars 2012
L'impatience n'est bonne qu'à être assouvie... C'est par cette maxime digne d’un éphéméride météorologique d’Evelyne Délia que je t'invite à me suivre dans cette nouvelle vadrouille qui va enfin me voir assouvir un fantasme survenu à l’époque où je n’étais encore qu’une jeune pousse de routard. Car oui, aujourd’hui, c’est le jour J. Donc dès le réveil, je ne tiens pas en place, je trépigne,… Si je dois attendre encore plus longtemps, c’est sûr, je vais me ronger les ongles jusqu’à l’omoplate !... Ah, je vois que mon introduction suscite chez toi quelques questionnements qui te turlupinent l’encéphale… :
« Ben oui… On peut savoir exactement ce qu’il y a aujourd’hui ?
- Et bien, tête de linotte, rappelle-toi pourquoi je suis venu à Ko Phi Phi !... Je vais enfin pouvoir fricoter avec « the » plage of the plage de Maya Bay ! Pour toi qui sors de vingt ans de prison ou d'une longue hibernation cinéphilique, je rappelle quand même qu’on surnomme Maya Bay « la plage » depuis la sortie du film du même nom dont elle était la vedette principale aux cotés de seconds rôles comme Leonardo Dicaprio, Guillaume Canet et autre Virginie Ledoyen...
- Comme tu es à Ko Phi Phi depuis déjà deux jours, pourquoi ne pas y être allé bronzer plus tôt, alors ?...
- Ben ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît ! Allez, un zest de géographie ne te fera pas de mal, bien au contraire…Donc sache que cette fameuse plage est située sur l’île de Phi Phi Leh, à quelques encablures de Phi Phi Don, notre « chez nous » depuis deux jours...
- Et si tu es venu dans l’coin pour cette plage, pourquoi n’as-tu pas décidé d’aller loger sur cette île de Phi Phi Leh, alors ?
- Ben tout simplement parce que l’île de Phi Phi Leh est une réserve et que personne n’y habite, hormis une bande de trafiquants de drogue armés jusqu’aux incisives… Euh, excuse-moi, en fait, ça ce n’était que dans l’imagination de Dany Boyle, le réalisateur du film…
- Ok, mais si personne n’habite là-bas, comment vas-tu faire pour t’y rendre ?
- Là, soit je me retrousse les manches et j’y vais à la nage comme Leonardo, soit je vomis et je me résous à pousser la porte d’une agence qui nous y emmènera en bateau. Comme je suis un peu faignant de nature, j’ai opté pour la seconde proposition hier contre trois cent cinquante baths par personne… Donc aujourd’hui, c’est bel et bien mon numéro qui a été tiré du chapeau, allons assouvir mon fantasme !… C’est bon ? L’examen est terminé ?... Est-ce que j’obtiens les félicitations du jury ?... Ok, donc à nous le paradis… »
Et oui, on ira tous au paradis, même moi… Qu’on soit béni ou qu’on soit maudit, on ira… Mais pour y aller, faut quand même un soupçon de logistique ! Donc on monte dans la navette de l’hôtel de huit heures qui nous emmène à Tonsaï. Une fois débarqués, on s’envoie un petit déj’ tout droit dans l’estomac en attendant l’agence au port… Ça, c’était la partie chiante de notre journée. La suite l’est encore plus puisque vingt minutes après l’heure du rendez-vous, ni Saint Pierre, ni Mickaël Landon ne sont au rendez-vous pour nous conduire sur les routes du paradis ! Y’a pas moyen qu’on reste à quai,… pas aujourd’hui…, donc je me mets à la recherche du dahu dans le dédale des rues de la ville. Un farang en tongs ayant perdu son chemin, c’est ce dont je dois avoir l’air !!! Et là, alors que je renifle et remonte la trace de l’agence depuis deux minutes, je suis interpelé par un petit thaï tout chétif que je n’ai encore jamais croisé :
« Franck ?
- Ben… il paraît, oui, c’est c’qui est écrit sur mon passeport ! Mais… Comment t’as d’viné ? »
Parmi toutes les têtes blondes qui se trimballent en ville, tu te demandes certainement par quel miracle il a pu savoir que c’était moi que dieu rappelait auprès de lui au paradis, hein ? Au début, je me suis posé la même question… Et puis après coup, j’en ai déduit que ça devait être Saint Pierre déguisé en p’tit thaï pour faire bien couleur locale… En tout cas, merci à lui ! Allez, go to the paradise !
Un, comme un bateau longue queue qui vogue maintenant vers Phi Phi Leh... Six, comme nos six trognes qui sont enfin à bord... Quatre, comme nos collègues touristes qui complètent le tableau... Et cent vingt, comme le nombre de battements de cœur qui résonnent dans ma cage thoracique chaque minute qui nous rapproche toujours plus de notre objectif… Au programme, Monkey beach, Viking cave, Phi Leh bay, Ko Samah bay… Rien que des petits amuse-bouches avant le must… Maya bay ! Ben quoi, faut faire les choses dans l’ordre et terminer l’excursion par la jouissance de la journée, non ? Genre, le gars, il se fait une gonzesse et il l’invite au resto après ?… Totalement inutile ! Donc comme entrée en matière, nous accostons sur la plage des singes. Et devine un peu sur qui on tombe ?... Oui !!! C’est gagné, c’est gagné, c’est gagné ! Mais non, on n’y trouve pas Dora l’exploratrice ! C’est une plage de sable blanc aussi doux qu’une peau de bébé lavée à la Soupline avec dessus, une dizaine de macaques en train de se la couler douce sur leurs serviettes en sirotant des cocktails… Trop dure la vie d’macaque à Koh Phi Phi ! Trop dur aussi pour ma mère qui échoue lamentablement dans les dix derniers mètres alors qu’elle s’est farcie plus de douze mille bornes pour venir jusqu’ici… Elle reste dans l’bateau, c’est vraiment ballot !… Sans commentaire… Bref, la suite nous permet de passer devant la grotte des vikings dans laquelle les thaïs ont monté tout un échafaudage pour récolter les nids d’hirondelles qu’ils vendront à prix d’or aux jap’. Mmmm, une bonne soupe aux nids d’hirondelles…
On continue le tour du propriétaire par Phi Leh bay. Alors là, c’est une bien belle baie avec tout l’attirail qui va avec : végétation, eau translucide, le tout entouré de hautes falaises. En moins de temps qu'il en faut pour... Plouf !!! Le pilote du bateau n’a pas le temps de couper le moteur que je barbote déjà dans cette palette de couleurs à en faire pleurer Michel-Ange… Mais pas d’euphorie, cette baie n’est qu’un brouillon avant le chef d’œuvre,… un homme avant une femme…, une impression de voir une bande annonce avant le long métrage de tout à l’heure… Et entre les deux, tout juste le temps d’aller s’acheter un paquet de pop corn pendant la page de pubs… Mais quelles pubs !!! Nous arrivons en effet maintenant à Koh Samah bay. Là, rien d’extraordinaire en termes de paysages. Enfin, on s’comprend… Le panorama est quand même beaucoup plus sexy que la vue que j’ai de mon bureau cinq jours sur sept… Non, ici, c’est surtout une représentation offerte à ceux qui ont, d'une part un masque et un tuba, et d'autre part, la volonté de mettre la tête sous l'eau. On en est !! Enfin, surtout Anna, mon père et moi… Car les autres se débinent avec des excuses du style « j’peux pas, j’ai pas d’bras pour remonter dans l’bateau » ou « zzzzzzzzz… » ou encore « faut qu’je surveille celle qui zzzzzzzzz… ». Bref, on met la tête sous l’eau, notre pilote jette trois ou quatre morceaux de pastèque et… c’est le concours de celui qui en attrapera le plus qui gagne ! Mais non, en fait, des milliers de poissons rayés de jaune et de noir se pointent et se battent pour arracher un morceau de fruit. Nous, nous profitons du spectacle qui se trame à dix centimètres de nos masques. Tantôt, tous les baigneurs nagent vers tribord pour suivre le banc, tantôt tout ce p’tit monde nage vers bâbord. On assiste au pire championnat du monde de natation synchronisée ! Je resterais bien toute l’après-midi ici à batifoler avec ces poissons déguisés en maya l’abeille,… mais non… Premièrement, parce que je sais ce qui m’attend dans les minutes qui viennent... Et deuxièmement, on se fait attaquer par toute une escadrille de petites méduses qui nous bombardent de leur poison sans qu’on puisse riposter… Ok, c’est bon les méduses, vous avez gagné par forfait, on rentre se mettre au chaud dans l’bateau ! Enfin, façon d’parler…
Attention Mesdames et messieurs, dans un instant, ça va commencer… Installez-vous dans votre fauteuil bien gentiment… Et oui, c’est le moment des frissons sur tout mon petit corps ! C’est le moment pour moi d’entrer dans Maya bay ! C’est le moment pour toi de baver sur ton clavier en matant les photos. Euh, par contre, je me suis renseigné et je préfère te mettre en garde… Mon assurance ne prendra pas en charge les dégâts que pourraient occasionner un excédent de bave sur ton clavier, donc n’oublie pas d’avaler ta salive entre deux clichés, merci !... Voilà, un clavier azerty en vaut deux !... Surtout que ça y est, on entre. Et oui, t’as bien entendu ! Le bateau peut entrer dans la baie… Merci qui ? Merci la technologie qui nous a fait croire dans le film que la baie était complètement fermée sur elle-même. Inutile donc de sauter du haut d’une cascade ou de plonger dans une grotte secrète pour y accéder !
Et c’est parti pour la contemplation ponctuée d'onomatopées à base de voyelles. Toutes y passent, du aaaaahhhhhh au ooooohhhhh en passant par le uuuuhhhhh ! Là, si on n’est pas au paradis, en tout cas on s’en rapproche. C’est beau à en verser une larme ! Bon, ok, le décor est un tantinet terni par la dizaine de hors-bords garés sur la gauche de la baie et par la centaine de touristes qui s’extasient devant la beauté époustouflante de l'endroit, cherchant désespérément une petite culotte de Virginie ou une fin de pétard de Leonardo qui serait restés dans le sable après l’tournage… Mais bon, on n’va pas cracher dans la mer, quand c’est beau, y’a du monde et c’est bien normal… Certains te diront qu’ils ne voient ici que la vase au fond de l'étang pendant que d'autres contemplent la fleur de lotus à la surface de l’eau. Vu mes larmes de joie, je fais bien évidemment parti de la seconde catégorie !
Allez, nous, avec notre bateau longue queue, on se gare à droite de la baie. Donc les hors-bords à gauche, les longtail boats à droite… Comme ça, aucun bateau n’obstrue la vue depuis la plage, risquant du même coup de faire du salami avec les gambettes des baigneurs ! Et là, je profite de chaque minute comme si c’était la dernière ! Je pars direct avec mon père pour traverser l’île au milieu d’une végétation magnifique. On se croirait dans un décor de film !!! A ma surprise, nous débouchons sur la baie de Koh Samah où nous étions tout à l’heure...
De retour sur la plage, séance de barbotage en famille qui apportera des souvenirs marqués au fer rouge dans ma mémoire. Tout ça, bien évidemment accompagné de mon fidèle Canon Eos 400D qui me parle encore de ce sable plus blanc que le blanc de tes yeux et de cette mer plus bleue que le bleu de tes yeux ! A ce propos, je t’avais déjà dit que tu avais d’beaux yeux ?… Si tu es blonde à forte poitrine, ça m’intéresse aussi ! Bref, on passe ici près de deux heures qui figureront pour sûr en tête de gondole des moments forts de ce voyage… Et n’en déplaise à Jacques Séguéla, je n’aurai peut-être pas de Rolex à cinquante ans, mais je pourrai me vanter d’avoir vu la plage de Maya Bay de mes propres yeux !
Cela fait maintenant deux heures que j’ai la mâchoire grande ouverte sans possibilité de la refermer… Mais là, l'évidence me frappe droit dans les neurones, la cloche a sonné, il est l’heure de revenir sur terre, fin de la récréation… Quitter un tel endroit pour rentrer à Neuflize, ce n’est pas difficile, c’est insupportable ! Bon, heureusement que notre bateau ne nous ramène pas directement à Neuflize, mais plutôt à Tonsaï que l’on regagne en une demi-heure ! A l'arrivée sur la plage dépotoir, c'est saute dans l'eau jusqu'aux genoux ou plante ta tente dans l’bateau ! « C’est bon papa, je peux y aller ?... » Ok, donc légère flexion des genoux, petite extension accompagnée d’un mouvement circulaire des bras pour garder l’équilibre, saut avec réception parfaite sur les appuis... Note technique, dix sur dix. Note artistique, neuf sur dix… Sauf que si j’aurais su, j’aurais pas dû. En une fraction de seconde, une douleur vive remonte le long de mes nerfs, traverse ma moelle épinière, arrive jusqu’à mon cerveau qui m’envoie aussi sec un message se traduisant par une grimace sur mon visage sur lequel trône pourtant toujours un sourire radieux, ainsi qu’un petit cri à peine audible pour les gens de l’autre côté de l’île du style « Aïe ! Qu’est ce que c’est qu’cette biiiiip ! Biiip de bordel... ! » Désolé… Allo maman bobo, je saigne comme un porc à qui on aurait tranché le cou à la petite cuillère ! La gangrène guette, les vautours rôdent au dessus de ma tête, le croque-mort est déjà en route. Ça sent Europe assistance, ça sent l’amputation ! Heureusement, les pompiers, le samu, les gendarmes, les ambulances, le docteur House, le professeur Strauss et Meredith Grey sont rapidement sur les lieux et me conduisent sans plus attendre à la pharmacie du coin d’la rue. L’épilogue de ce film d’horreur, c’est que ma carrière de mannequin des pieds s’arrête nette ! Tout ça à cause d’une belle cicatrice qui trônera le reste de ma vie sous mon pied droit. Dans un sens, comme je n'avais pas la place pour ramener beaucoup de souvenirs, ça tombe plutôt bien, mais la prochaine fois, c'est promis, je tenterai quelque chose de moins douloureux…
Bon, après cet épisode massage des pieds à la mode tartare, je me traîne jusqu’au restaurant Lemon Grass pour y prendre un nouveau massaman, une nouvelle bière et un nouveau pansement. Allez, il faut battre le fer pendant qu’on est manchot… ou plutôt unijambiste… donc on rentre à l’hôtel ! Une navette en plus et cent cinquante baths en moins plus tard, nous revoilà sur notre bout d’plage. Là, la fin d’après-midi sera plongée ou ne sera pas. Donc avec mon père, on chausse notre masque et notre tuba, et on profite de la marée basse pour atteindre la barrière de corail. Encore des poissons et des fonds sous-marins à rendre sa prime jeunesse au commandant Cousteau ! A ce propos, si je t’agace avec ces magnifiques plages, ces fonds sous-marins superbes, sache que tu peux appuyer sur le bouton « Arrête d'en parler, je suis jaloux » situé juste en bas de l’écran… Allez, reviens, c’était une blague… T’as quand même pas cru qu’il y avait vraiment ce bouton en bas d’écran, si ?
Voilà encore une journée bien remplie qui va alimenter nos conversations pour la soirée… et les décennies à venir ! Ce soir, justement, c’est la copie conforme de ses deux prédécesseurs. Repas, discussion, bière… au restaurant de l’hôtel. Ah si, toute la famille a droit à un spectacle de jongleurs de feu sur la plage… Quant à moi, j’ai droit à ma petite consultation privée avec une des serveuses du restaurant. Mais qu’est-ce que tu vas imaginer là ? Je te parle bien évidemment de mon pansement ! Que te dire de plus à part qu’elle était très mignonne ? Rien sauf que moi, c’est sûr, à mes cinquante ans, même si je n’ai pas de Rolex, je veux revenir ici… Je vais d’ailleurs commencer à m’organiser ça dès demain. De toute façon, demain est une autre aventure…