8 Août 2013
Hello de Lu ! Honoré de te retrouver une fois de plus dès notre réveil, blotti langoureusement entre Sandrine et moi… Comme tu t’es incrusté pour la nuit, tu as pu remarquer combien notre sommeil avait été bon… En tout cas, bien meilleur que pour certains qui tirent des tronches de zombis en s’extirpant de leur voiture au petit matin. Car si tu t’agites un peu la cervelle, tu vas être en mesure de te remémorer le happy end d'hier soir où le mistral et la tramontane se sont organisés le concours de celui qui pisserait le plus loin. Et ils n’ont rien trouvé de mieux que de faire ça en plein milieu de notre camping, au grand désarroi de nos voisins américains... Donc merci à toi, mister Quechua, noble inventeur de notre tente deux secondes qui a tenu le cap comme une grande… Par contre, je ne remercie pas le dieu soleil qui dès son réveil, se laisse botter l’arrière train sans broncher par quelques nuages menaçants. Du coup, parlons sérieusement entre enfants de moins de douze ans : Devons-nous, malgré ces formations gazeuses, aller trimballer nos yeux dans le Little Wild Horse canyon ?… Car sans vouloir te foutre les j’tons, ce canyon est ce qu’on appelle un slot canyon. Et qui dit slot canyon dit risque de flash flood… Oui, je sais, pour toi, tout ça, c’est du martien… Donc pour toi, si je passe en mode terrien, un slot canyon est un long canyon très très étroit. Et si un big orage venait à se pointer lorsque tu te trouves à l’intérieur, tu pourrais te faire surprendre par le dénommé flash flood, alias une montée des eaux soudaine si tu préfères... Faut quand même faire gaffe à ce satané flash flood machin truc qui peut dans le meilleur des cas te saloper des nouvelles pompes, et dans le pire, se barrer avec ta vie sous l’bras. Du coup, je me tâte, je me gratte la tête, je dirais même plus, je tergiverse… Bon, pour mettre d’accord mon lobe temporal droit et mon lobe temporal gauche, c’est décidé, je tire à pile ou face. Pile, on y va, et face, on y va !... Pile !!! Okay dac, ben on n’a pas le choix, on y va !!! Et pis on n’sait jamais, sur un malentendu, on peut s’en sortir. Ça fera quelque chose à raconter aux collègues en rentrant !
Bon, parlons peu, parlons bien. Le Little Wild Horse canyon n’étant qu’à cinq ou six miles de Goblin Valley, nous nous téléportons rapidement sur son parking, prêts à nous empiffrer de cet énième miracle de la nature. Sauf que pour y accéder, cinq cents mètres de marche dans le lit asséché d’une rivière sont nécessaires. Cinq cents mètres, c’est du pipi d’chat mais ça peut paraître énorme, en tout cas pour la dénommée Sasha qui nous refait sa comédie musicale pour éviter de marcher. Et quand c’est comme ça, toutes les excuses sont bonnes…
« Papa, j’ai faim, papa, j’ai froid,…
- Ben mange un pull… et maaaaarche ! » Car comme l’ont dit avant moi les célèbres poètes Bataille et Fontaine, la vérité est au bout du couloir !... Heureusement, le supplice ne dure pas longtemps puisqu’aussitôt entrés dans l’antre du canyon, comme par magie, les yeux s’écarquillent et les bouches se ferment… sauf celle de Sandrine qui peine toujours à gravir le gros rocher qui dissimule l’entrée secrète de cette merveille :
« Euuuh, tu n’maides pas, là…
- Non, pas là, non… » Faut dire qu’étant en pleine phase d’euphorie jubilatoire, j’ai déjà l’index collé à la gâchette de ma boîte à souvenirs. Un vrai killer !!!... Non mais attends, mate-moi un peu toutes ces photos vraiment vraiment (oui, oui, deux fois) splendides !!!…
D’ailleurs, si mes photos de cette contrée lointaine te font saliver le steak et suscitent en toi l’envie de te pointer ici, sache qu’outre la météo, la visite requerra de prendre quelques autres dispositions non superflues comme par exemple emporter suffisamment d’eau avec toi. Comme on n’y croise très peu de touristes, il serait en effet dommageable de devoir boire ta propre urine en cas d’immobilisation forcée durant environ cent vingt sept heures… Et pendant qu’on y est, pense à bien aiguiser ton couteau suisse avant de partir, ça t’évitera d’hurler comme un cochon le moment venu où tu seras contraint de t’autocouper un bras… Bref, une fois cette ordonnance suivie à la lettre, il ne te restera alors plus qu’à passer à l’acte en te glissant délicieusement dans cette fente étroite. Et je peux te garantir que tu vas jouir pendant une heure et demie de pure extase ! Oui, je sais, ça ne t’est encore jamais arrivé mais pose-toi les bonnes questions ! C’est peut-être tout simplement parce que tu n’as pas la chance de m’connaître ! Car moi, fais-moi confiance, pour sûr, je t’aurais emmené visiter le Little Wild Horse canyon !
Il est par endroits si étroit qu'il te faut t'y déplacer de côté. Il est par endroits si haut que tu ne peux même pas entrevoir le ciel. Il est par endroits si beau que quand tu te frottes les yeux, tu ne sais pas vraiment si c'est pour te débarrasser d'une goutte de sueur ou d’une larme qui perle pour cause de trop plein d'émotion… Dame nature nous bluffe tous les jours un peu plus mais sur ce coup-là, chapeau ! Ou plutôt Stetson, pour être plus précis ! Bref, nous ne voyons pas le temps passer et deux heures après avoir quitté le parking, nous arrivons aux deux bouts. Au bout de la rando, mais également au bout du rouleau ! Faut dire que le soleil a profité de notre escapade pour darder ses rayons bien comme il faut ! Donc tous au frais dans Paty, merveille suivante s’il vous plait !!!
Mais avant ça, petite douche rafraichissante à notre petit camping, dernier petit coup d’œil à Goblin, et petit bout de route jusqu’à la petite ville d’Hanksville où son petit supermarché ne constituera pas la petite merveille suivante mais nous permettra quand même de refaire le plein de petites victuailles… Petit, petit… Plus c’est petit, plus c’est mignon disent les petits mais comme je suis plutôt grand, il me faut maintenant quelques chose de grandiose : Burr Point, appelé aussi Dirty Devil overlook ! Encore un site aussi peu connu que fabuleux ! Pour t’y rendre, débrouille-toi avec les coordonnées GPS suivantes : 38.15881N - 110.62168W… Ou alors, si tu préfères, suis à la lettre ma carte au trésor… De Hanksville, descends plein sud sur la 95 pendant quinze miles et demi et pas un de plus. Une fois sur place, ne te pose pas de question et prends la piste qui part sur ta gauche pour s’enfoncer innocemment dans le désert rougeoyant de l’Utah. Cette piste se sépare à plusieurs endroits ?... Pas de panique, contente-toi de rester sur la piste principale !... Onze miles, comme ça, sur une piste en taule ondulée, ça peut paraître long… Pour Sandrine, peut-être… Car le Sébastien Loeb qui sommeille en moi s’éclate comme un gamin de cinq ans au volant de son karting à pédales ! Dérapages, freinages,… pour arrivage au village dans les nuages…
La piste arrive en effet dans un cul de sac, tout en haut d’une plateforme rocheuse qui surplombe un paysage vertigineux à couper le souffle du meilleur des marathoniens ! A tel point que Sandrine et les filles n’osent pas danser la carmagnole à moins de cinq mètres du vide ! Bien évidemment, inutile de préciser qu’il n’y a ni garde-corps, ni garde du corps vu que l’endroit est aussi connu que Karpatouke… Comment, tu n’connais pas Karpatouke ?... Non ?... Ben tu vois, c’est bien c’que j’disais, l’endroit où on se trouve est aussi connu que Karpatouke !
Mais revenons-en à notre instant magique… La Dirty River, merci à elle, a creusé pour notre plus grand plaisir une réplique miniature du « Grand canyon ». Mais bon, je remue peut-être le couteau dans le scalp, mais ce qui rend ce moment de contemplation unique, c’est vraiment que nous avons l’impression d’être les découvreurs de ce site. Il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres à la blonde. Que nous, le canyon et nos sandwichs que nous dégustons avec nos amis italien et arménien : "Parcimonie" et "A bon escient"... Bien sûr, moi, je serais bien resté planté là, tout comme ma tente, pour une nuit ou deux… Mais je n’ai même pas le temps de soumettre ma lumineuse idée à un conseil familial extraordinaire que Sandrine, Anna et Sasha sont déjà au chaud dans la voiture, prêtes à repartir en vadrouille… Question de sensibilités différentes… Pour en revenir à la vadrouille à proprement parler, elle nous mène ensuite en Egypte… Pas d’affolement, nous ne nous téléportons pas sur les bords du Nil. Le site où nous arrivons se nomme Little Egypt ! Et ici, pas de pyramide, pas de pharaon ni de sarcophage, mais seulement des alignements de roches rouges et blanches superposées qui peuvent éventuellement faire penser aux imposantes colonnes qui soutiennent le temple de Karnak à Louxor. Mais attention, c'est ma théorie à moi tout seul, j’ai d’ailleurs l’intention d’écrire un bouquin sur le sujet en rentrant... Bref, pour rester terre à terre, le site se situe au bout d’une courte piste que l’on emprunte depuis la route 95, cette fois-ci en prenant à droite, à vingt miles de Hanksville. Ah, et j’oubliais… Pour la visite qui ne prend qu’une quinzaine de minutes, une fois de plus, nous sommes seuls au monde…
Burr Point, Little Egypt, un petit arrêt à Hog Spring,... Comme tu peux le constater, la route 95 a plusieurs ficelles à son string… Elle en a tellement qu’au final, le string fait maintenant plutôt vieille culotte de grand-mère taille cinquante-deux ! Car plus on descend vers le sud, plus le pare-brise de Paty est un véritable écran de cinéma haute définition… Les mots et les photos ne peuvent lui rendre justice, mais crois-moi sur parole, cette route, c’est du pur bonheur en papillote ! Les paysages sont hallucinants, j’écoute de la country, je suis avec ma femme et mes filles, les lapins me font coucou du bord de la route avec leurs petites papattes… Bref, je suis bien, je suis zen, je suis un homme heureux…
Et pourtant, the cherry on the cake m’attend encore un peu plus loin, précisément lorsque nous entrons dans le Glen Canyon Recreation Area. Car je le dis haut et fort, ce canyon est une tuerie sans nom ! Pour t’en rendre compte, il suffit de te garer lorsque se présente à toi le panneau indiquant « Hite overlook ». Là, écoute attentivement mes instructions. Tu gares ta Paty, tu déverrouilles ta ceinture de sécurité, tu sors, tu marches quelques mètres et tu te prends une bonne claque dans la tronche ! Non mais attend, c’est quoi ce point de vue de cinglé ??? Je dirais même plus, c’est quoi ce Point de vue, avec un P majuscule, comme « Purée qu’c'est beau ! » Sincèrement, le Hite overlook est très certainement le plus beau panorama qu’il m’ait été donné de voir de toute ma vie ! Séquence émotion puisque j’en ai même les larmes aux yeux tellement c’est beau ! Surtout, lorsque tu seras sur place, fais comme moi, ne t’économise pas et va tout au bout à droite de la plateforme pour avoir droit toi aussi à ton trois cent soixante degrés panoramique de folie, tu m'en diras des nouvelles…
Allez, de nouveau dans la voiture pour nous rendre maintenant à… Ah non, en fait, tous les deux cents mètres, je ne peux faire autrement que de me garer en vrac dans le bas-côté pour prendre toute une panoplie de nouvelles photos tellement le Glen Canyon est beau sous toutes les coutures... Et c’est comme ça jusqu’au pont qui enjambe la célèbre Colorado River, celle-là même qui a façonné de ses propres mimines le Grand Canyon… Après ce pont, le paysage redevient un poil plus commun, c'est-à-dire seulement dix fois plus beau que ce qu’on peut voir dans le genre en France. Faut dire qu’après ce concentré de beauté, on devient un poil blasé…
Là, comme on n’a pas précisément de point de chute pour cette nuit, on roule, on roule, en espérant voir poindre le bout du nez d’une pancarte annonçant un camping... Mais rien, que dal, nawak, peau d’balle ! Donc on roule, on roule jusqu’à plus soif… Et justement, en parlant de soif, on ne voit pas de camping, mais on ne voit pas non plus de station service sachant que Paty commence à nous témoigner son aversion pour l’essence… Pas grave, on verra ça demain car au final, on arrive au Natural Bridge National Monument où se trouve un camping « premier arrivé, premier servi » ! Et ouf, il reste encore de la place… Là, personne pour t’accueillir. Tu entres, tu choisis un emplacement, tu plantes ta tente, tu vas à l’entrée et tu glisses la somme indiquée dans une enveloppe sur laquelle tu inscris ton petit nom et ton emplacement… « Je m’appelle Franck, avec un F comme Franck… Et mon emplacement porte le numéro douze… » Et hop, dix dollars dans l’enveloppe pour un emplacement tip top ! Et pour ce prix-là, on a même droit à une soirée thématique. Pour aujourd’hui, ce sera astronomie ! Que demande le peuple ?... Ben pas grand-chose de plus, il est plutôt content de lui le peuple !
Du coup, après quelques saucisses et marshmallows grillés au barbecue, on a droit à un immense ciel illuminé de millions d’étoiles ainsi qu’à un télescope pointé sur Saturne, accompagnés des commentaires en version originale qui vont bien d’un ranger passionné. Un peu trop d’ailleurs, car le bonhomme met tellement d’engouement dans ses explications qu’on a du mal à le suivre… En fait, pour tout te dire, je lâche l’affaire au bout de cinq minutes… Après dix minutes, j’ai envie de m’pendre… Au bout de quinze, c’en est trop, faites éjaculer la salle !!! Tout le monde au lit ! Ben oui, c’est pas l’tout, mais on a une liste de merveilles à découvrir demain, nous ! De toute façon, demain est une autre aventure…